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MCF : Interdiction d’enseignement pour manquement à la déontologie

Affaire disciplinaire à l’université de Strasbourg : interdiction d’enseignement pour manquement à la déontologie

Dans une décision récente, le Conseil d’État a confirmé la gravité des manquements d’une maîtresse de conférences de l’université de Strasbourg, en statuant définitivement sur son interdiction d’enseigner pour une durée de trois ans, assortie d’une privation de la moitié de son traitement. Cette décision met en lumière les attentes élevées en matière de dignité, de tolérance et de respect des obligations déontologiques pour les enseignants-chercheurs.

CE, 4e chs, 29 octobre 2024, n° 474579.

Une procédure longue devant la section disciplinaire de l’université, le CNESER et le Conseil d’Etat (2018-2024)

Mme B, maîtresse de conférences au sein du département de linguistique appliquée et de didactique des langues, avait initialement fait l’objet de poursuites disciplinaires en 2018, à l’issue desquelles la section disciplinaire de l’université de Strasbourg lui avait interdit d’exercer des fonctions d’enseignement pendant trois ans, avec privation de la moitié de son traitement.

En appel, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) l’avait relaxée en 2019, mais cette décision avait été annulée par le Conseil d’État en 2022, qui avait renvoyé l’affaire au CNESER.

Le CNESER avait à nouveau relaxé Mme B en mars 2023, décision que l’université de Strasbourg a contestée, obtenant finalement une révision en cassation par le Conseil d’État.

Les faits reprochés à l’enseignante

Le Conseil d’État a examiné plusieurs faits reprochés à la maîtresse de conférences, parmi lesquels :

  1. Enregistrements non autorisés et gestion de budget : Les accusations d’enregistrement d’un cours sans l’accord de l’enseignant et d’utilisation incorrecte de fonds de formation ont été rejetées, faute de preuves suffisantes.
  2. Déclarations injurieuses et inappropriées : Il a été constaté que Mme B avait tenu des propos dégradants et injurieux envers certains collègues et des personnes étrangères, et ce, dans des contextes publics ou semi-publics (cours, réunions, courriels).
  3. Activités non autorisées impliquant des étudiants : Mme B a fait intervenir son époux dans ses cours sans en informer sa hiérarchie, soumettant les étudiants à un questionnaire inapproprié touchant notamment à leur orientation sexuelle, dans un cadre de recherche non précisé.
  4. Document de soutien frauduleux : Elle a déposé un projet de recherche en prétendant avoir l’appui de la doyenne de sa faculté, ce qui s’est révélé être une fausse information.

Le Conseil d’État a jugé que ces comportements démontraient une violation de l’exigence de dignité inhérente aux fonctions d’enseignant-chercheur, et constituait un manquement grave aux obligations de tolérance et d’objectivité :

« En second lieu, il résulte de l’instruction que Mme B a, dans des courriels adressés à des enseignants-chercheurs du DLADL, lors de réunions en présence de ces enseignants ou devant des étudiants auxquels elle dispensait un enseignement, dénigré certains de ses collègues en des termes parfois injurieux, qu’elle a par ailleurs tenu, lors de certains enseignements, des propos dégradants portant sur les capacités intellectuelles de personnes étrangères, qu’elle a fait intervenir à plusieurs reprises son époux dans le cours qu’elle assurait, sans en informer au préalable sa hiérarchie, qu’à l’occasion de l’une de ces interventions, les étudiants ont été amenés à remplir un questionnaire nominatif de personnalité comportant des questions inappropriées, en particulier sur leur orientation sexuelle, ces questionnaires devant être utilisés par l’intéressée dans le cadre d’une recherche sans que les étudiants en aient été avertis, enfin qu’elle a déposé, sur la plateforme d’un appel à projets, un dossier de candidature pour l’un de ses projets scientifiques, l’accompagnant d’un document intitulé « lettre doyenne » laissant penser qu’elle avait obtenu le soutien de la doyenne de la faculté alors que tel n’était pas le cas.

L’ensemble de ces agissements, constatés sur au moins quatre années, constituent de la part de Mme B une méconnaissance de l’exigence de dignité rappelée par les dispositions de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 citées au point 7 et de l’obligation d’exercer ses fonctions d’enseignante-chercheuse avec tolérance et objectivité, qui découle des dispositions de l’article L. 952-2 du code de l’éducation citées au même point, peu important l’absence d’intention manifestement malveillante de sa part et l’aggravation progressive de ses difficultés relationnelles avec ses collègues, qui, contrairement à ce qu’elle soutient, ne révèlent pas de harcèlement moral à son encontre. »

Sanction disciplinaire et implications

Après avoir annulé les décisions antérieures, le Conseil d’État a confirmé la sanction initiale décidée par l’université de Strasbourg prise sur le fondement de l’article L. 952-8 du code de l’éducation : une interdiction de trois ans d’exercer des fonctions d’enseignement au sein de l’université, avec privation de la moitié du traitement de Mme B. La sanction, bien que sévère, a été jugée proportionnée compte tenu de la gravité des faits et de leur étendue sur plusieurs années :

« Aux termes de l’article L. 952-8 du code de l’éducation :  » () les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l’enseignement supérieur sont : / 1° Le blâme ; / 2° Le retard à l’avancement d’échelon pour une durée de deux ans au maximum ; / 3° L’abaissement d’échelon ; / 4° L’interdiction d’accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ; / 5° L’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche ou certaines d’entre elles dans l’établissement ou dans tout établissement public d’enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; / 6° La mise à la retraite d’office ; / 7° La révocation. / Les personnes à l’encontre desquelles a été prononcée la sixième ou la septième sanction peuvent être frappées à titre accessoire de l’interdiction d’exercer toute fonction dans un établissement public ou privé, soit pour une durée déterminée, soit définitivement « .

11. Eu égard à la gravité des fautes commises par Mme B, tant en ce qui concerne la nature des manquements qui lui sont reprochés qu’en ce qui concerne leur diversité et leur étendue dans le temps, il convient de la sanctionner en lui interdisant d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein de l’université de Strasbourg pendant trois ans, avec privation de la moitié de son traitement. »

Enjeux pour les établissements d’enseignement supérieur

Cette affaire rappelle aux établissements la rigueur requise dans la surveillance des pratiques déontologiques et des comportements au sein de leur corps enseignant. En fixant des limites claires aux comportements tolérés et en rappelant les sanctions en cas de manquement, cette décision devrait encourager les universités à assurer la conformité de leurs enseignants avec les standards de dignité et d’intégrité, fondements essentiels de la mission éducative.

La création et l’utilisation d’une charte complémentaire auprès du personnel de l’université peut être un acte recommandé.

Ce qu’il faut retenir de la décision

Le Conseil d’État, en confirmant la sanction disciplinaire à l’encontre de Mme B, réaffirme les attentes strictes en matière de conduite professionnelle dans l’enseignement supérieur. Cette décision marque un précédent significatif dans l’appréciation de comportements portant atteinte aux principes d’intégrité et de tolérance qui sont au cœur de la fonction d’enseignant-chercheur.

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